À quoi servent les rêves ? Une exploration à travers la psychanalyse et la science

On ferme les yeux, la réalité se dissout… et pourtant quelque chose travaille. Depuis des millénaires, les rêves intriguent : sont-ils un bruit de fond cérébral sans importance, ou un rouage discret de notre équilibre psychique et cognitif ? Entre la « voie royale » vers l’inconscient décrite par Freud et les apports des neurosciences contemporaines, une réponse nuancée s’impose : les rêves ne servent pas une seule fonction, mais plusieurs, qui s’entrecroisent.

La « voie royale » freudienne : symboles et détente des conflits

Avec L’Interprétation des rêves (1899), Freud fait basculer les songes du folklore au champ clinique. Les rêves, dit-il, expriment des désirs refoulés et des conflits internes sous une forme déguisée : c’est le « travail du rêve » (condensation, déplacement, figuration) qui transforme un contenu latent en récit onirique acceptable par le conscient. L’intérêt n’est pas dans la « traduction littérale des symboles », mais dans l’exploration de l’associatif, ce fil de pensées personnelles que le rêveur déroule en séance.

Fonction clé chez Freud : la décharge. En offrant une scène sûre où des tensions peuvent s’exprimer indirectement, le rêve protégerait le repos et l’équilibre du moi. On ne « guérit » pas par le rêve seul, mais l’activité onirique participerait à la régulation des affects ; elle laisse des traces que l’analyse peut travailler au réveil.

Jung et l’élargissement du cadre : individuation, archétypes, créativité

Jung, d’abord disciple puis dissident, conserve l’idée d’une sagesse du rêve mais élargit la focale. Les songes ne parlent pas seulement du passé refoulé : ils orientent, compensent les unilatéralités de la conscience et prennent appui sur des images universelles — les archétypes — issues de l’inconscient collectif. Rêver, ce n’est pas seulement « vider la pression », c’est aussi chercher du sens, intégrer des opposés (raison/intution, force/vulnérabilité), avancer sur le chemin d’individuation. Une même scène onirique peut ainsi contenir à la fois un message intime et une résonance mythique.

Ce que montre le cerveau endormi : rem, nrem et circuits de l’émotion

Au XXᵉ siècle, l’électroencéphalographie puis l’IRM fonctionnelle changent la donne. On sait aujourd’hui que les rêves surviennent surtout pendant le sommeil paradoxal (REM), phase marquée par une intense activité cortico-limbique et une atonie musculaire, mais qu’ils existent aussi en sommeil profond (NREM), souvent plus statiques et moins narratifs. Plusieurs zones s’allument pendant les rêves : amygdales et hippocampe (émotion et mémoire), cortex visuels associatifs (imagerie), réseau du mode par défaut (errance mentale, construction de soi). À l’inverse, les régions préfrontales impliquées dans le contrôle logique se mettent en retrait : d’où les scénarios bizarres, les transitions abruptes, l’acceptation d’incohérences.

Ce profil neurophysiologique suggère déjà des fonctions : retrait du contrôle exécutif, activation des circuits émotionnels et mnésiques, simulation perceptive vive. Autrement dit : un terrain propice à la digestion affective et au remaniement des souvenirs.

Consolider, intégrer, trier : l’hypothèse mnésique

Une piste robuste défendue par de nombreux laboratoires : les rêves participent à la consolidation de la mémoire. La nuit, le cerveau « rejoue » des patterns d’activité liés aux apprentissages du jour, renforce certaines traces, en affaiblit d’autres et tisse des liens nouveaux. Les rêves seraient la face subjective de ce travail : ils recombinent des fragments d’expérience et les intègrent à nos schémas. C’est particulièrement vrai pour les mémoires procédurales (apprentissages moteurs/cognitifs) et émotionnelles. On comprend alors pourquoi on peut « se réveiller avec la solution » d’un problème : la nuit a testé des configurations que l’état de veille, plus linéaire, n’avait pas explorées.

Réguler l’émotion : rejouer sans danger

Autre piste, complémentaire : la régulation affective. Des études montrent que revisiter des situations chargées, dans un contexte neurochimique spécifique (beaucoup d’acétylcholine, peu de noradrénaline en REM), permettrait d’atténuer la charge émotionnelle tout en conservant l’information. On « revoit » une dispute, un échec, un danger… mais sans les hormones du stress ; le cerveau apprend à tolérer l’image sans être submergé par l’émotion. Cette idée éclaire aussi certains cauchemars : quand la charge est trop forte ou répétée (trauma), la scène rejouée tourne en boucle et réveille — signe que la digestion affective n’aboutit pas. Ici, des thérapies ciblées (désensibilisation par mouvement oculaire, répétition d’images de maîtrise) peuvent aider à reprendre la main sur le scénario nocturne.

Simuler pour mieux s’adapter : l’entraînement à l’imprévu

Plus récemment, des chercheurs ont avancé que les rêves servent d’« simulateur générique » : en générant des mondes étranges, des menaces improbables, des retournements absurdes, le cerveau s’entraîne à la flexibilité et à la généralisation. La version « menace » (Revonsuo) insiste sur la préparation aux dangers ; des travaux plus récents (Hoel) parlent d’« overfitting » évité : si l’on ne vit que des situations répétitives, le cerveau risque de s’habituer à des régularités trop étroites. Les rêves injectent du bruit contrôlé, cassent les clichés, et favorisent l’apprentissage robuste. C’est peut-être aussi pour cela que les fictions nous captivent : films, romans et jeux vidéo sont des « rêves externes » où l’on entraîne nos algorithmes mentaux.

Et si les rêves n’étaient qu’un épiphénomène ?

À l’opposé, certains modèles (Hobson & McCarley, initialement) ont vu dans le rêve un sous-produit de l’activation cérébrale en REM, le contenu n’ayant pas de signification fonctionnelle forte : le cortex interpréterait après coup une pluie de signaux internes. La position actuelle est plus équilibrée : même si l’activation est en partie « ascendante », l’orchestration, la cohérence subjective et les effets mesurables sur mémoire et émotion plaident pour des fonctions émergentes non triviales. Autrement dit, le rêve n’est pas « programmé pour un but unique », mais il est utilisé par le cerveau pour faire plusieurs choses utiles à la fois.

Pourquoi tant de bizarreries ?

Si les rêves servent, pourquoi sont-ils si bizarres ? Parce que la bizarrerie est une ressource. La désactivation relative du contrôle logique et la liberté associative permettent des rapprochements inattendus (métaphores, analogies, sauts temporels). C’est inconfortable au réveil, mais fécond pour l’exploration. La créativité ne « vient pas du rêve » en soi ; elle profite d’un mode où l’on accepte provisoirement l’incohérence pour tester des liens faibles. Le jour, on triera.

Cauchemars, rêves récurrents : signal d’alarme et matériaux de travail

Quand les songes deviennent répétitifs et pénibles, ils ne sont pas « inutiles » pour autant : ils signalent un blocage. Un cauchemar récurrent est souvent une tentative avortée de régulation : l’image revient parce que la charge n’a pas été symbolisée. C’est là que la psychothérapie (psychanalyse, TCC du sommeil, thérapies par imagerie) trouve un levier : on renforce la sécurité diurne (cadre, verbalisation, sens), on modifie parfois volontairement le scénario (réécriture onirique), on restaure la capacité du rêve à transformer plutôt qu’à répéter. En psychanalyse, on écoutera les associations du rêveur ; en approche plus cognitive, on travaillera la maîtrise et l’exposition graduée. Dans les deux cas, le rêve devient matériau et boussole.

Rêves, identité et continuité du soi

Au-delà de la mémoire et de l’émotion, les rêves contribuent à la narration de soi. Ils relient des fragments de vécu, rejouent des rôles, mettent en scène nos valeurs, nos peurs, nos élans. Cette activité nocturne nourrit la cohérence autobiographique : elle ne dit pas toujours « la vérité des faits », mais elle propose une vérité psychique — celle de la signification. Jung l’aurait dit autrement : le rêve ne « dit » pas, il « montre ». Et ce qu’il montre — une attitude à équilibrer, une part oubliée à réintégrer — peut orienter des choix concrets au réveil.

Que retenir pour la vie quotidienne ?

  • Dormir, d’abord. Sans quantité et régularité de sommeil, pas de terrain fertile au rêve utile. Hygiène du sommeil, exposition à la lumière le matin, horaires stables : ce sont les vraies « portes du rêve ».
  • Noter pour comprendre. Tenir un carnet (même trois lignes) aide à repérer thèmes et émotions récurrentes. L’objet n’est pas d’ériger un dictionnaire universel des symboles, mais de suivre vos associations.
  • Relier, pas sur-interpréter. Un rêve n’est ni un oracle ni une simple image absurdes. Reliez-le à ce que vous vivez : contraintes, désirs, conflits, transitions.
  • Chercher de l’aide quand ça coince. Cauchemar récurrent, sommeil haché, anxiété : des approches éprouvées existent. Le rêve est un allié quand il circule, pas quand il enferme.

Conclusion : une pluralité de fonctions, un même bénéfice — nous ajuster au réel

La psychanalyse a montré que les rêves parlent, à leur manière, de nos conflits et de nos désirs ; elle a donné des outils pour en tirer du sens. Les neurosciences ont précisé les mécanismes : cycles REM/NREM, circuits émotionnels et mnésiques, consolidation et recombinaison. Les théories récentes soulignent la valeur adaptative de la simulation onirique : gérer l’imprévu, élargir les catégories, amortir la charge affective. Plutôt que d’opposer ces lectures, on peut les articuler : la nuit, le cerveau-esprit met en scène (dimension psychique), rejoue et recâble (dimension biologique), essaie et apprend (dimension cognitive).

À quoi servent les rêves ? À nous aider à rester des humains en mouvement : capables de déposer l’excès, d’intégrer le vécu, d’imaginer d’autres possibles, puis de nous réveiller un peu plus ajustés au monde — et à nous-mêmes.


David Eyraud, coach professionnel, spécialisé dans l’accompagnement des managers et auteur du livre « Manager les 20 personnalités difficiles » aux éditions GERESO.

Me joindre : 07.61.51.63.26 / david.eyraud@coaching-pacte.com

Eyraud David

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