Et si la personnalité difficile, c’était moi ?

Nous sommes tous, un jour ou l’autre, “la personnalité difficile” de quelqu’un. Pas parce que nous serions toxiques par essence, mais parce que nos angles morts se heurtent aux vulnérabilités des autres, et réciproquement. C’est l’un des tabous discrets de la vie professionnelle : derrière les tensions qui s’enveniment se cachent moins des “mauvais caractères” que des failles psycho-affectives qui s’expriment différemment selon le contexte, la charge de stress et la dynamique de pouvoir. Reconnaître cela n’excuse rien ; cela change tout. On passe d’une logique de blâme à une grammaire de compréhension et d’intervention.

Depuis Freud, nous savons que l’inconscient, loin d’être un réservoir folklorique de rêves, travaille nos gestes, nos choix et nos silences ; il installe des défenses, détourne des colères, fabrique des certitudes. Wilhelm Reich puis Alexander Lowen ont prolongé ce constat dans le corps : les tensions chroniques, les “armures” posturales et respiratoires racontent des histoires affectives figées, parfois depuis l’enfance. “Le corps ne ment pas”, aimait rappeler Lowen : les conflits entre plaisir et douleur s’y gravent en schémas de caractère—rigide, oral, psychopathe, masochiste, schizoïde—qui colorent nos relations au travail autant que nos vies privées. Les neurosciences ont depuis confirmé que les expériences précoces laissent des traces somato-émotionnelles durables ; apprendre à sentir et à moduler ces traces fait partie du chemin de maturation personnelle.

John C. Pierrakos, cofondateur avec Lowen, parlera plus tard d’“énergétique du noyau” (Core Energetics) : une tentative de réunifier corps, émotion, pensée et intention, en partant de l’idée que l’énergie et la conscience forment une même pulsation—se contractant, s’ouvrant, se reposant—et que la santé relationnelle consiste à rééquilibrer ces mouvements, en soi et entre nous. Dans cette perspective, ce que nous appelons “dysfonction” n’est pas un vice moral, mais un blocage du flux vital qui rigidifie le Moi protecteur, puis durcit les interactions. Là encore, l’entreprise n’est pas à l’écart : réunions qui crispent, mails qui blessent, silences qui isolent, coups d’éclat qui sidèrent… autant de manifestations d’un mouvement intérieur empêché.

Dans le monde du travail, cette lecture s’entend aujourd’hui avec la méthode PACTE, détaillée dans l’ouvrage Manager les 20 personnalités difficiles. PACTE propose un cycle opérationnel—Percevoir, Analyser, Communiquer, Transformer, Évaluer—pour cartographier les comportements sous tension, repérer la faille dominante, ajuster sa posture, puis ancrer des changements observables. Ce n’est pas une boîte à astuces, c’est une hygiène de lucidité : on passe d’un diagnostic à chaud (“il est insupportable”) à une hypothèse clinique et managériale (“il exprime un besoin de contrôle parce qu’il craint la trahison ; je vais solidifier le cadre, clarifier les engagements et négocier des marges”).

Au cœur de cette approche, dix failles psycho-affectives structurent vingt profils—car chacune possède un versant actif (confrontation, domination, rigidité) et un versant passif (repli, évitement, dévalorisation). Rejet, Abandon, Humiliation, Trahison, Injustice, Dévalorisation, Jalousie/Envie, Privation/Manque, Empathie déficiente, Altruisme excessif : autant de “fractures” qui ne demandent qu’à se cicatriser sous des conditions relationnelles suffisamment claires et prévisibles. Ainsi, “la forte tête” (Rejet-Actif) attaque pour ne pas être attaqué ; le “perfectionniste” (Injustice-Passif) tente de prévenir l’arbitraire en empilant des garanties ; “l’arrogant” (Humiliation-Actif) humilie pour ne plus sentir l’humiliation ; le “sacrificiel” (Altruisme excessif-Actif) se vide pour exister—jusqu’à épuiser son équipe. Ces portraits ne sont ni des cases ni des étiquettes ; ce sont des hypothèses de compréhension qui éclairent des besoins : sécurité relationnelle, reconnaissance, fiabilité des engagements, droit à l’erreur, frontières nettes.

La presse s’intéresse souvent aux “personnalités toxiques”, comme si le problème était logé chez quelques individus mal intentionnés. Le réel, plus sobre, est souvent interactionnel. Le “colérique” (Injustice-Actif) explose quand le cadre est flou, quand les décisions se contredisent ou quand les règles varient selon l’interlocuteur ; le même, dans un environnement prévisible et équitable, devient un allié de la qualité et du tempo. À l’inverse, “le blasé” (Jalousie/Envie-Passif) se détache d’autant plus que la comparaison permanente est encouragée, au lieu de valoriser les contributions singulières. En clair : nous ne gérons pas des essences, nous orchestrons des contextes qui activent ou apaisent des failles.

Comment procéder sans psychologiser à l’excès ? La force de PACTE est de garder les pieds dans la poussière du quotidien. Percevoir : recueillir des faits, des exemples datés, observer les situations “déclencheurs”. Analyser : formuler une hypothèse de faille et vérifier ce qu’elle “explique” (comportements sous stress, besoin probable, stratégie de protection). Communiquer : dire ce qu’on voit, sans jugement, et proposer un contrat simple assorti d’engagements réciproques. Transformer : ajuster l’organisation (règles, rôles, rituels), renforcer les capacités (méthode, priorisation, feedback), sécuriser les frontières (temps, canaux, arbitrages). Évaluer : mesurer ce qui s’apaise et ce qui résiste, et itérer. C’est une écologie locale, pas une psychanalyse sauvage.

Cette écologie a une histoire. Les “cinq blessures” popularisées par Lise Bourbeau—rejet, abandon, humiliation, trahison, injustice—ont donné au grand public un vocabulaire intuitif pour nommer ses vulnérabilités. Le travail de Lowen avait déjà montré comment ces blessures s’inscrivent dans les tissus, la respiration, l’axe corporel ; Pierrakos a, lui, insisté sur le chemin d’intégration : traverser le Moi défensif, rencontrer le “noyau” vivant, réapprendre la mutualité dans la relation—cette capacité à donner et recevoir sans marchandage ni contrôle excessif. Ce fil rouge, des blessures à la mutualité, se retrouve dans les situations d’équipe où l’on remet sur ses pieds l’échange professionnel : clarifier les attentes, oser la franchise respectueuse, accorder des “non” légitimes pour rendre les “oui” fiables.

Reste la question la plus délicate : et si c’était moi ? L’un des apports salutaires de Manager les 20 personnalités difficiles est de rappeler que le manager n’est pas un arbitre hors-sol. Il est, lui aussi, traversé de failles ; sa manière de cadrer, d’accélérer, de décider ou de temporiser peut aggraver ou apaiser. S’auto-observer avec la même grille que celle qu’on applique aux autres—et pas seulement sous stress—évite deux pièges fréquents : la moralisation (“ils devraient…”) et le sauvetage (“je prends tout sur moi”). Une discipline simple aide : écrire ses déclencheurs, signaler ses “points rouges” à l’équipe, ritualiser les décisions sensibles, demander un retour court et factuel après les réunions chaudes. Ce n’est pas de la vulnérabilité marketing ; c’est du professionnalisme émotionnel.

Dans cet apprentissage, le corps demeure un allié sous-estimé. Il parle plus vite que nos discours : souffle bloqué avant un tête-à-tête, mâchoires serrées sur un désaccord, nuque raide après une journée de réunions. Apprendre à “désamorcer par le corps”—respiration basse, ancrage, ralentissement articulé—n’est pas un gadget zen : c’est une compétence d’influence. Un manager régulé élargit la fenêtre de tolérance de l’équipe ; il rend pensable ce qui était impensable, audible ce qui était inaudible. Lowen n’aurait pas dit autre chose : la liberté relationnelle commence où l’énergie recommence à circuler.

Faut-il craindre, à force de typologies, de transformer nos collègues en boîtes à cocher ? Le risque existe. La parade tient en trois principes. D’abord, la temporalité : un profil n’est pas une identité, c’est une configuration située. Ensuite, la pluralité : plusieurs failles cohabitent ; on travaille la dominante, pas la totalité. Enfin, la finalité : l’objectif n’est pas de “corriger les gens”, mais d’ajuster les conditions pour que le travail redevienne possible, digne et efficace.

“Nous sommes tous la personnalité difficile de quelqu’un” n’est pas un relativisme mou. C’est un appel à la réciprocité lucide : je deviens gérable pour toi en travaillant mes angles morts ; tu deviens gérable pour moi si le cadre commun est clair, prévisible et juste. Les entreprises qui prennent ce tournant cessent de sous-traiter le relationnel à la bonne volonté individuelle. Elles outillent les conversations sensibles, institutionnalisent des rituels de feedback, donnent des critères de décision opposables, acceptent les désaccords explicites, protègent des temps d’attention profonde. Elles font de PACTE non pas un slogan, mais une méthode de gouvernement du quotidien.

Au fond, l’exigence est simple et haute à la fois : relier ce que nous savons de la psychologie—les blessures, les défenses, la part somatique de nos histoires—à une pratique managériale concrète, rythmée, mesurable. Dans ce trajet, chacun gagne un double bénéfice : la paix modeste des journées qui se passent mieux, et la fierté tranquille d’avoir élevé le niveau de jeu sans humilier personne. Oui, nous resterons périodiquement “difficiles” aux yeux d’autrui. Mais de ce constat peut naître, au travail, une culture professionnelle adulte : moins de sur-réactions, plus de régulation ; moins de soupçons, plus de contrats ; moins de jugements, plus de précision. C’est là que nos failles cessent d’être des handicaps pour devenir des points d’appui. Et c’est là que l’équipe, soudain, respire.


David Eyraud, coach professionnel, spécialisé dans l’accompagnement des managers et auteur du livre « Manager les 20 personnalités difficiles » aux éditions GERESO.

Me joindre : 07.61.51.63.26 / david.eyraud@coaching-pacte.com

Eyraud David

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