Les failles psycho-affectives, témoins de notre chemin de vie

Un vendredi soir, la réunion s’éternise. Claire, cheffe de projet brillante, s’emporte à propos d’un détail de slide. « Ce n’est pas acceptable », lâche-t-elle, la voix trop forte pour l’heure. Deux minutes plus tard, elle ravale ses mots, s’excuse et range son ordinateur avec une méthode quasi maniaque. Aux yeux de l’équipe, Claire est “difficile”. Aux yeux d’un manager attentif, elle raconte quelque chose d’elle : la faille d’injustice qui s’enflamme, le perfectionnisme qui sert d’armure, la peur de décevoir qui affleure sous la maîtrise. La scène est banale. Elle dit l’essentiel : nos comportements au travail ne tombent pas du ciel. Ils sont les témoins d’un chemin de vie.

Depuis Freud, nous savons que nos gestes sont travaillés par des forces invisibles : souvenirs enfouis, conflits internes, défenses qui se mettent en place pour nous protéger. Wilhelm Reich a prolongé l’intuition en montrant que ces défenses s’inscrivent dans le corps, se rigidifient en “armures” posturales et toniques. Alexander Lowen et John C. Pierrakos ont ensuite articulé énergie, émotions et caractère : lorsque l’élan vital est entravé, la personne construit des stratégies répétitives pour tenir debout. Derrière l’écorce des attitudes “compliquées” se loge donc une logique : celle d’une vulnérabilité, d’un besoin vital mal reconnu, d’une blessure plus ancienne qui cherche — maladroitement — à ne plus souffrir.

C’est ce même fil qu’on retrouve, sur un registre plus accessible, dans les travaux populaires sur les “blessures” : rejet, abandon, humiliation, trahison, injustice… L’intérêt n’est pas de coller des étiquettes, mais de disposer d’une grammaire qui relie l’histoire intime et les comportements du présent. L’approche PACTE et l’ouvrage Manager les 20 personnalités difficiles poussent plus loin cette grammaire managériale en distinguant dix failles psycho-affectives (rejet, abandon, humiliation, trahison, injustice, dévalorisation, jalousie/envie, privation/manque, empathie déficiente, altruisme excessif) et deux modes d’expression pour chacune : passif (évitement, plaintes, repli) ou actif (confrontation, contrôle, agressivité). Vingt profils émergent, non pas comme des cases, mais comme des “mises en scène” récurrentes : la forte-tête (rejet, actif), le perfectionniste (injustice, passif), le manipulateur (trahison, actif), le dépendant (abandon, passif), l’excessif (jalousie, actif), le blasé (jalousie, passif), etc. Chacun de ces profils est moins une identité qu’un refuge : un arrangement appris pour réduire l’inconfort intérieur.

Pourquoi parler de “failles” plutôt que de “défauts” ? Parce que le mot rappelle leur nature : une ouverture dans la paroi qui a laissé passer quelque chose de douloureux… et par laquelle la vie continue pourtant de circuler. Une faille signale une histoire : une scène de rejet qui a imprimé l’alarme ; une expérience d’abandon qui a appris à capter l’attention par la plainte ; une humiliation qui a fait préférer l’arrogance à la honte ; une trahison qui a donné au contrôle des airs de survie. Au travail, ces traces s’expriment à bas bruit tant que la charge est maîtrisée. Sous stress, elles prennent le volant.

Regardons de plus près ce que cela produit dans les organisations. Le mode actif cherche à prévenir la blessure en attaquant : contester avant d’être rejeté, dominer pour ne pas être dominé, couper court pour ne pas être envahi. Le mode passif tente l’inverse : disparaître pour éviter le coup, retarder pour ne pas échouer, s’auto-déprécier pour ne pas être rabaissé. Un même collaborateur peut basculer de l’un à l’autre selon le contexte : directif avec ses prestataires, fuyant devant son N+1 ; contrôlant sur ses dossiers, passif-agressif en réunion de direction. Ce balancier n’est pas incohérence : c’est l’intelligence de survie qui s’ajuste au rapport de force perçu.

Faut-il s’en accommoder ? Dans un monde productiviste, on pourrait se contenter de corriger le symptôme : procédure, recadrage, sanction. Efficace à court terme, fragile au long cours. La promesse d’une démarche comme PACTE est d’ajouter une strate : passer de la punition à la compréhension opératoire. L’enjeu n’est pas de “psychanalyser au bureau”, mais d’agir mieux parce qu’on comprend mieux. Cinq verbes guident la manœuvre.

Percevoir. C’est apprendre à voir sans juger. Ralentir la réaction, collecter des faits, repérer les déclencheurs. Qu’est-ce qui précède l’explosion du colérique ? Où se nichent les micro-déclencheurs du dépendant (silences, mails sans réponse) ? Que se passe-t-il dans le corps (voix qui monte, souffle qui se coupe, mâchoires qui serrent) ? Cette observation “à froid” évite l’amalgame (“il est toxique”) et ouvre des pistes (“il réagit aux changements non cadrés”).

Analyser. Il s’agit d’inférer la faille probable, non pour coller une étiquette, mais pour chercher le besoin sous-jacent. Rejet ? Le besoin est l’appartenance et la reconnaissance “de base”. Abandon ? C’est la fiabilité des liens et des réponses. Injustice ? C’est l’équité de traitement et la clarté des règles. Trahison ? C’est la transparence et la loyauté contractuelle. Cette cartographie rend l’action précise : on ne gère pas un perfectionniste (injustice, passif) comme un présomptueux (dévalorisation, actif).

Communiquer. La parole devient un outil de régulation, pas un instrument d’escalade. Avec la forte-tête (rejet, actif), on évite l’affrontement frontal et on travaille la co-construction de critères : “Sur quoi s’accorder pour décider ?” Face au passif-agressif (trahison, passif), on nomme les faits sans procès d’intention, on remet de la clarté : “Tu as dit oui vendredi, le livrable n’est pas parti. Qu’est-ce qui t’a bloqué ?” Devant l’anxieux (dévalorisation, passif), on sécurise le cadre et on gradue l’autonomie. La communication devient contextualisée : même exigence, canaux différents.

Transformer. Ici, la mécanique se traduit en actes. On ajuste les rituels (un point court quotidien pour le dépendant, une revue qualité bornée pour le perfectionniste), on met des garde-fous (deux décideurs sur les sujets sensibles pour le profil “trahison”), on dose l’exposition (sprint court pour le procrastinateur ; objectifs d’effort, pas uniquement de résultat). On travaille aussi les règles : expliciter ce qui est “non négociable” (cadres, délais, respect), ce qui est discutable (méthode, priorités), et ce qui est à initier par la personne. Transformer, c’est simultanément contenir et ouvrir.

Évaluer. Sans boucle de rétroaction, tout s’essouffle. Mesurer des micro-progrès (moins de mails nocturnes, plus de demandes d’aide formulées tôt), réajuster les leviers, célébrer les étapes. Dans cette phase, l’équipe apprivoise une vérité souvent négligée : ce n’est pas la disparition des failles qui signe la maturité, c’est la capacité à les réguler ensemble.

On objectera : “Tout expliquer par des failles, n’est-ce pas excuser ?” Non. Comprendre n’est pas déresponsabiliser. C’est au contraire rendre l’exigence tenable, car elle s’appuie sur la réalité psychologique. Un manager qui sait lire les signaux faibles est plus apte à poser des limites claires, plus tôt et plus justement. Il sait dire “non” sans humilier, “stop” sans casser. Il sait aussi voir l’apport derrière l’ombre : la forte-tête défie les angles morts ; l’excessif tracte l’ambition ; le perfectionniste garde le niveau ; l’altruiste tisse la solidarité. Chaque faille a sa lumière quand l’environnement la canalise.

Il y a, enfin, un gain collectif. Une équipe qui adopte ce regard fait baisser la dépense d’énergie improductive : moins de ruminations, moins d’étiquetages définitifs, moins de “procès” en couloir. Elle gagne en langage commun (“là, c’est notre allergie à l’injustice qui parle ; on remet de la règle”), en réflexes d’hygiène relationnelle (clarifier, reformuler, cadencer), en sécurité psychologique (oser dire “j’ai besoin de temps”, “j’ai besoin de critères”, “j’ai besoin d’un filet”). Elle apprend aussi à retourner le miroir : nous sommes tous, à l’occasion, la personnalité difficile de quelqu’un. Ce rappel d’humilité vaut formation.

“Les failles psycho-affectives sont des témoins de notre chemin de vie.” L’énoncé n’est pas une coquetterie littéraire : c’est un mode d’emploi. Chaque faille témoigne d’une ressource qui s’est durcie — parce qu’elle a trop servi, trop tôt, trop longtemps. Le management, dans sa version adulte, consiste à remettre la ressource en circulation sans laisser la carapace diriger. C’est tout le sens d’une approche comme PACTE : outiller l’observation, donner des points d’appui à la parole, installer des garde-fous, et inscrire les relations dans une dynamique d’amélioration continue.

Un dernier mot pour les sceptiques : non, il ne s’agit pas de transformer les managers en thérapeutes. Il s’agit de réhabiliter une évidence : les entreprises ne sont pas des machines, mais des systèmes humains. Quand la compréhension progresse, la performance suit. Quand les règles sont claires et humaines, les tensions diminuent. Quand chacun peut mettre des mots sur ses propres angles morts, les équipes deviennent plus robustes. Et lorsque l’on accepte que la “difficulté” de l’autre est souvent l’ombre d’une qualité mal régulée, on commence à travailler — vraiment — ensemble.

Dans le fond, c’est une bonne nouvelle. Nos failles ne sont pas des condamnations. Ce sont des traces. Elles racontent d’où nous venons. Avec un peu de méthode, elles peuvent aussi indiquer où nous allons.


David Eyraud, coach professionnel, spécialisé dans l’accompagnement des managers et auteur du livre « Manager les 20 personnalités difficiles » aux éditions GERESO.

Me joindre : 07.61.51.63.26 / david.eyraud@coaching-pacte.com

Eyraud David

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