Il suffit parfois d’un mail sec, d’une remarque en réunion, d’un imprévu dans le planning. Et le corps décide avant nous : ventre noué, souffle court, cerveau en blanc. On repousse, on contourne, on disparaît. Fuir n’est pas une faiblesse morale, c’est un scénario appris — la partie émergée d’un mécanisme psychique et somatique infiniment plus ancien que nos agendas partagés. Comprendre ce « réflexe de fuite » permet de cesser de s’en vouloir… et d’apprendre à le piloter.
La psychologie moderne nous a appris que l’humain n’oppose pas seulement la raison à l’émotion : il module de l’énergie. Dans la lignée freudienne, puis avec Wilhelm Reich, Alexander Lowen et John C. Pierrakos, le comportement est lu comme l’expression (ou l’entrave) de courants d’énergie vitale, organisés en couches protectrices. Pierrakos décrit trois « niveaux » : un noyau vivant et créatif, une couche de négativités primaires (peurs, rages, panique) et une périphérie défensive — le « masque » — qui filtre et déforme pour nous protéger. Lorsque la pulsation du vivant est niée ou contrée (échec, humiliation, menace), c’est cette seconde couche qui s’active : elle est précisément « le siège des réactions de fuite ou d’attaque », y compris la panique qui nous coupe du monde et de nous-mêmes.
Ces protections ont une logique : elles tentent de préserver l’intégrité du noyau. Mais, à force de barrages, l’énergie se fige en « armures caractérielles » (Reich) ; le masque prend le volant, privilégie le court terme (éviter l’affront) et fabrique des justifications honorables : « Je n’ai pas eu le temps », « Ce n’était pas prioritaire ». Le risque ? Se couper du réel et de ses propres affects, au point de vivre dans une réalité distordue où l’on rationalise sa peur en stratégies d’évitement.
La neurophysiologie avait d’ailleurs repéré très tôt ces patrons d’activation. Pierrakos rappelle les travaux de Walter Cannon : sous peur ou colère, le système sympathique bascule en deux voies opposées — extension ou contraction —, donnant les grandes réponses « fuite / capitulation » d’un côté, « combat » de l’autre. Rien de moral ici : c’est une écologie du vivant. Bloquer l’expression des émotions négatives ne supprime rien ; cela ralentit, épaissit, fige l’énergie… et finit par entraver aussi les élans positifs (joie, confiance, amour).
Sur le terrain managérial, la fuite ne tombe pas du ciel : elle s’adosse à des vulnérabilités psycho-affectives. Dans Manager les 20 personnalités difficiles, la grille PACTE distingue dix failles fréquentes (rejet, abandon, humiliation, trahison, injustice, dévalorisation, jalousie/envie, privation/manque, empathie déficiente, altruisme excessif) et montre comment elles s’expriment en deux modes : passif (repli, évitement) ou actif (confrontation, contrôle).
La fuite est le langage privilégié du versant passif : le « réservé introverti » (Rejet, passif) disparaît des échanges pour éviter la morsure du jugement ; le « dépendant » (Abandon, passif) reporte et cherche un tuteur avant d’avancer ; l’« anxieux » (Dévalorisation, passif) multiplie vérifications et délais pour « ne pas mal faire » ; le « flemmard » (Privation/manque, passif) s’anesthésie pour ne pas sentir le manque. Cette typologie ne colle pas des étiquettes : elle donne des poignées d’analyse pour relier comportements visibles et besoins sous-jacents.
Autre subtilité utile aux managers : les failles se renforcent. Un sentiment de rejet peut amplifier la sensibilité à l’injustice ; l’humiliation vécue peut nourrir une méfiance de trahison, déclenchant évitement et contrôle. Savoir cartographier ces « couplages » aide à traiter la racine plutôt que le symptôme (« il procrastine »).
Sur un plan clinique, fuir protège : elle évite l’affrontement avec une émotion que l’on juge ingérable (peur de l’échec, honte, colère), ou avec un contexte perçu comme ingrat, capricieux, dangereux. Pierrakos illustre comment un système qui apprend tôt à « geler » ses élans développe une façade de soumission ou d’hostilité latente ; la peur pour la survie devient colère contre la captivité, puis peur d’être découvert, puis ressentiment — une spirale où la fuite alterne avec des micro-agressions sans jamais résoudre le fond.
La conséquence en entreprise : le report systématique (« je reviens vers toi » qui ne revient pas), l’effacement en réunion, l’art de traiter « tout sauf ce dossier ». Le manager voit de la paresse ; le collaborateur vit une menace existentielle. S’en tenir au blâme entretient le masque et reconduit l’évitement.
C’est ici que l’approche PACTE (Percevoir, Analyser, Communiquer, Transformer, Évaluer) propose une marche à suivre pragmatique. Elle part d’un principe simple : on ne « casse » pas un réflexe de survie, on le comprend, on le ré-oriente, on le remplace par un geste viable.
Percevoir. D’abord, ramener des faits. Qu’observe-t-on exactement ? Délais glissants ? Absences aux points hebdo ? Demandes de re-spécification à répétition ? Cette objectivation calme le système et évite de nourrir le masque par des jugements (« tu te fiches du projet »).
Analyser. Ensuite, poser l’hypothèse de faille : s’agit-il d’un abandon (peur d’être seul face à la tâche) ? d’une dévalorisation (peur d’être nul) ? d’une humiliation (peur d’être exposé) ? Et quel mode : passif ou actif ? Ce tri oriente la suite : on ne parle pas de la même façon à un « anxieux » qu’à un « perfectionniste ».
Communiquer. On verbalise les faits et on nomme l’impact (« le dossier X a glissé trois fois, l’équipe cale »), puis on relie aux besoins (« de quoi aurais-tu besoin pour avancer sans te sentir lâché ? »). L’échange vise à percer le masque sans l’écraser : sécurité pour l’anxieux, limites claires pour le perfectionniste, sens et jalons pour l’introverti.
Transformer. On co-construit un geste opposé à la fuite, mais « dosable » : micro-jalons de 48 h, relecture intermédiaire, binôme sur le passage à risque, exposure graduée (présenter 3 min puis 5 min). On formalise qui fait quoi, pour quand, avec quels appuis.
Évaluer. Enfin, on boucle : rendez-vous court (15 min) à date fixe, mesure des écarts, ajustements. Ce cycle itératif évite l’effet « coup de collier » suivi d’un retour à l’évitement.
1) la réunion qui tétanise. Profil probable : Rejet-passif ou Humiliation-passif. Indice : silence systématique, caméra coupée, compte-rendu impeccable mais hors temps. PACTE en bref : percevoir (cartographier les tours de parole), analyser (peur d’être exposé), communiquer (« je te propose 90 secondes sur ton point, je passe derrière »), transformer (slot réservé, feedback privé), évaluer (progression sur la durée). Derrière, l’enjeu n’est pas « parler plus » ; c’est restaurer la sécurité d’exister en public.
2) la procrastination chronique. Profil : Privation/manque-passif (énergie basse) + Dévalorisation-passif (peur de rater). PACTE : clarifier une « première brique » (15 min), définir un jalon observable, installer un rituel d’ouverture (5 min de préparation sans écran), programmer un point court de restitution. On remplace l’avalanche par un pas viable — le contraire de la fuite.
3) le mail qui contourne. Profil : Trahison-passif (passif-agressif). La fuite prend la forme de détours : « oublis », retards « involontaires ». PACTE : factuel, sans procès d’intention ; rendez-vous bref, règle d’escalade claire, jalon partagé (et visible). La clé est de rendre coûteuse la déviation, sans humiliation.
4) le perfectionnisme qui paralyse. Profil : Injustice-passif (exigence de conformité) : tout doit être « exact », donc rien n’est livré. PACTE : définir des niveaux de qualité (« version brouillon / beta / finale »), imposer un time-boxing, remercier les itérations plutôt que les finitions tardives. On déplace le curseur de « parfait » à « progressif ».
Le travail intérieur ne se décrète pas, mais il se balise. La tradition de Lowen et Pierrakos montre un mouvement en spirale : quitter le masque (perception, honnêteté), traverser les émotions négatives (peur, rage) sans s’y dissoudre, réaccéder au noyau vivant (élan, joie, sens). Cette traversée est souvent ressentie comme une « chute » au début ; elle demande répétition, cadrage et soutien.
En pratique :
– Nommer l’obstacle précisément (quel est le moment où je commence à fuir ?) ;
– Réduire l’unité d’action (tâche de 15 minutes, pas de 3 heures) ;
– Exposer graduellement (micro-prise de parole, micro-livrable) ;
– Demander une présence témoin (binôme pendant 20 minutes) ;
– Ritualiser la clôture (un point « ce que j’ai fait / ce qui bloque », plutôt que « tout ou rien »).
Dans une équipe, le rôle du manager n’est pas de « guérir » mais d’offrir un cadre où la fuite n’est plus le seul choix raisonnable : visibilité douce, attentes claires, droits à l’essai, feedbacks rapides. C’est du leadership hygiénique : on réduit les toxines relationnelles qui déclenchent la panique (sarcasmes, humiliations, injonctions paradoxales) et l’on renforce les nutriments (sens, limites, reconnaissance).
Dernier point contre-intuitif : la fuite n’est pas l’ennemi. Elle a souvent sauvé la mise, et elle continuera parfois d’être la meilleure option (se retirer d’un échange trop violent, différer une décision en l’absence de données). L’ambition n’est pas de « ne plus jamais fuir », mais de choisir. Choisir de différer en conscience, non par réflexe ; choisir d’affronter par étapes, non par bravade. C’est exactement l’esprit d’une méthode cyclique, simple à retenir et à dérouler sous pression : percevoir, analyser, communiquer, transformer, évaluer… puis recommencer si nécessaire.
Dans Manager les 20 personnalités difficiles, cette boussole s’articule à des profils concrets qui parlent à tous les terrains — du « réservé introverti » à l’« anxieux », du « passif-agressif » au « perfectionniste ». On y apprend surtout à regarder derrière le geste : la fuite n’est jamais un caprice. C’est une tentative — imparfaite — de prendre soin de soi. À nous d’en faire une compétence : savoir quand s’éloigner pour mieux revenir, et comment revenir pour enfin passer l’obstacle.
David Eyraud, coach professionnel, spécialisé dans l’accompagnement des managers et auteur du livre « Manager les 20 personnalités difficiles » aux éditions GERESO.
Me joindre : 07.61.51.63.26 / david.eyraud@coaching-pacte.com
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