Le plat arrive. La table est belle. La nappe est à peu près droite. Les bougies tiennent encore debout (miracle). Et vous vous dites, avec cette naïveté touchante qui fait le charme de décembre : « Cette année, ça va bien se passer. »
C’est précisément à ce moment-là que Théo se racle la gorge.
Théo, c’est le cousin qui a toujours une opinion, un mot savant, un chiffre, une source. Pas forcément la bonne, mais une source quand même. Il a vingt-neuf ans, une montre un peu trop sûre d’elle, et cette façon de s’asseoir comme si la chaise venait de signer un contrat d’exclusivité avec son charisme.
Il n’a pas encore touché sa fourchette qu’il lance, sourire de conférencier :
« Alors, vous avez vu les dernières décisions de la BCE ? Non parce que là, on est clairement sur un changement de paradigme. »
Votre père cligne des yeux. Votre mère, déjà au bord de la rupture nerveuse mais digne comme une reine d’Ancien Régime, répond un « Ah bon ? » prudent, qui aurait dû calmer le jeu.
Erreur.
Théo se redresse. C’est son moment. Il parle de taux, d’inflation, de “transmission”, de “cycle”, avec des mots qu’on entend d’habitude quand on s’est trompé de chaîne et qu’on est tombé sur un plateau télé à 23 h 40.
Puis il glisse, sans même respirer :
« Et toi, toujours dans ton truc de coaching ? C’est bien, ça. Aujourd’hui tout le monde a besoin d’être coaché. Même pour respirer. »
Il rit. De sa propre vanne. Personne d’autre.
Vous sentez déjà la mécanique. Ce n’est pas juste quelqu’un qui “sait”. C’est quelqu’un qui a besoin que ça se voie. Quelqu’un qui prend la place, qui coupe, qui corrige, qui reformule les phrases des autres comme s’il rendait service à l’humanité.
Votre sœur tente un commentaire sur son année :
« Moi, j’ai changé de poste et… »
Théo l’interrompt, très naturellement :
« Oui, enfin, ça dépend ce que tu appelles “changer”. Parce qu’en termes de mobilité interne, c’est plutôt un ajustement qu’une transition. »
Votre sœur se fige. Elle le regarde comme on regarde une porte qui grince : on se demande si on doit huiler ou claquer.
Votre oncle, qui était venu pour parler de dinde et de souvenirs, lâche :
« À mon époque… »
Théo :
« Justement. À ton époque, c’était un autre monde. Les indicateurs ne sont pas comparables. »
Et là, vous voyez le dîner basculer. Pas en dispute franche, non. En quelque chose de plus insidieux : une domination polie. Une soirée où chacun parle un peu moins, parce que “de toute façon, Théo sait”.
Le cousin arrogant a un talent rare : il fait taire sans avoir l’air agressif. Il sourit. Il corrige. Il “explique”. Il humilie sans prononcer le mot. Et plus il sent de résistance, plus il monte en expertise.
Vous, vous le connaissez. Vous avez déjà vu ce film. La question n’est pas : “Comment le faire taire ?” La question est : “Comment éviter que ce repas devienne sa scène ?”
Parce que Noël, c’est censé être un moment de famille. Pas un colloque.
Aparté : l’approche PACTE
Dans Manager les 20 personnalités difficiles, l’arrogant n’est pas seulement “pénible”. Il est souvent construit sur une blessure d’humiliation : il cherche à ne jamais être rabaissé, donc il prend les devants. Il s’assure le contrôle. Il protège son estime de soi en surplombant les autres.
Derrière la posture, on retrouve souvent des besoins très clairs :
- Se sentir en sécurité et “assuré” dans son rôle.
- Être respecté, reconnu, légitime.
- Maintenir une haute estime de soi.
- Garder du contrôle et de l’influence.
Votre levier n’est donc pas la confrontation. Votre levier, c’est la canalisation : lui donner une place… sans lui donner tout l’espace.
Avec l’approche PACTE, l’idée est simple : vous passez du réflexe émotionnel (“il m’écrase”) à une stratégie relationnelle (“je cadre, je reconnais, je réoriente”).
Percevoir
Repérez les signaux : interruptions, ton condescendant, critiques “dévalorisantes”, besoin de dominer la discussion.
Analyser
Comprenez le moteur : il veut prouver sa valeur et éviter d’être diminué. Si vous l’attaquez, il va se rigidifier. Si vous l’ignorez, il va surenchérir.
Communiquer
Adoptez une communication assertive, calme, et surtout précise. Pas de sarcasme. Pas de piques. Pas de “Tu te prends pour qui ?”.
Vous posez un cadre de parole, vous valorisez une contribution, puis vous rééquilibrez.
Exemples de phrases moins frontales (mais très efficaces) :
- « Tu connais bien le sujet. Je te propose de nous faire une synthèse en une minute, et ensuite on fait un tour de table. »
- « Je t’entends. Et j’aimerais aussi qu’on écoute les autres points de vue. »
- « Ta remarque est intéressante. Selon toi, qu’est-ce qu’on pourrait améliorer concrètement ? »
- « On va éviter les jugements sur les personnes. On reste sur les idées. »
- « Merci, c’est clair. Qui veut compléter avec son expérience ? »
Transformer
Vous transformez sa posture “dominante” en posture “utile”. Vous l’invitez à contribuer sans écraser. Vous encouragez l’écoute active. Vous le ramenez vers la collaboration.
Évaluer
Après le repas (ou à froid), vous observez : est-ce que le cadre tient ? Est-ce qu’il respecte mieux ? Sinon, vous ajustez : plus de structure, moins d’improvisation.
Deux outils-clés issus des stratégies du livre, adaptés au repas :
- Créer un cadre de discussion : un tour de table, une règle simple (“on ne coupe pas”), un temps limité.
- Conclure en reconnaissant sa contribution… et celle des autres : l’arrogant se calme quand il se sent reconnu, surtout si cette reconnaissance ne lui donne pas le monopole.
Et si ça déborde (ton qui monte, pique publique) : un “arrêt verbal” doux, puis recentrage.
- « Je vois que le sujet te tient à cœur. On va garder un ton tranquille, on est à table. »
- « On en reparle après le plat si tu veux. Là, je veux que tout le monde passe un bon moment. »
Tradition oblige : à Noël, la paix se fabrique. Elle ne tombe pas du sapin.
Retour à table : le vrai luxe de Noël, c’est l’équilibre
Théo repart. Il attaque le vin.
« Ce cépage-là, c’est intéressant, mais… »
Vous le regardez, vous souriez. Et vous décidez de faire ce que peu de gens osent faire en famille : cadre + considération.
Vous posez votre verre, ton simple :
« Théo, tu as l’air de bien t’y connaître. Fais-nous une petite explication en une minute, et après je veux entendre tout le monde. »
Une minute. C’est court. C’est précis. C’est juste. C’est royal.
Théo s’exécute. Il est content. Il a son rôle. Il existe. Son besoin de reconnaissance est servi… sans que la table soit prise en otage.
Puis vous enchaînez, tranquillement :
« Merci. Alors, tour de table : chacun dit un truc positif de son année. Julien, tu commences ? »
Julien relève la tête, surpris d’être invité à parler avant que Théo ne reformule sa vie.
Votre sœur raconte enfin son changement de poste sans être “corrigée”. Votre père dit deux phrases. Votre mère souffle un peu.
Théo tente une interruption.
Vous le coupez… mais avec douceur :
« Je te redonne la parole après, promis. Là, je veux écouter jusqu’au bout. »
Et vous continuez. Sans vous excuser. Sans vous justifier. Comme un maître de maison qui protège son monde.
Plus tard, Théo lâche une remarque un peu sèche sur “les gens qui n’ont pas d’ambition”.
Vous ne l’attaquez pas. Vous recadrez.
« Je préfère qu’on reste sur les expériences plutôt que sur les jugements. Qu’est-ce qui, toi, t’a fait progresser cette année ? »
Il hésite. Il cherche une phrase moins brillante, plus vraie. Il répond. Et, chose rare, il se tait ensuite.
Le repas reprend son cours. Pas parfait. Noël n’est jamais parfait. Mais vivant. Équilibré. Respirant.
Et vous comprenez un truc important : le cousin arrogant n’a pas besoin d’un adversaire. Il a besoin d’un cadre qui le respecte… et qui respecte tout le monde.
Ce soir-là, vous n’avez pas “gagné” contre Théo. Vous avez gagné pour la table.
Et ça, franchement, c’est une victoire qui mérite une part de bûche supplémentaire.
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L’objectif n’est donc pas d’étiqueter les gens, mais de retrouver du levier managérial là où vous aviez surtout du ras-le-bol.









