Noël, c’est la liturgie familiale : on arrive avec un dessert, on embrasse tout le monde, on dit “ça sent bon”, et on fait semblant de ne pas voir que la table est déjà une arène.
Tout va bien. Jusqu’à l’entrée.
Parce qu’elle est là.
Votre tante Hélène (appelons-la Hélène, ça sonne très “j’ai un avis sur tout”) s’assoit comme on prend le pouvoir : dos droit, sourire sûr, regard circulaire pour vérifier que l’assemblée est prête.
Elle n’attend pas qu’on lui donne la parole. Elle la prend. Avec élégance, bien sûr.
“Alors moi, avec mon travail, vous ne vous rendez pas compte…”
Et c’est parti.
Votre cousine commence à raconter un petit truc sympa ? Hélène coupe, pas méchante, juste… efficace :
“Oui enfin bon, moi, j’ai vécu pire.”
Votre mère félicite le rôti ? Hélène rectifie :
“Je t’avais dit de le faire comme ça. C’est mon truc.”
Quelqu’un parle d’un projet ? Hélène explique comment elle l’aurait fait, pourquoi elle a raison, et comment, quelque part, tout ça lui doit déjà beaucoup.
Ce n’est pas seulement “parler d’elle”. C’est recentrer le monde autour d’elle. Avec une sorte de calme dominateur. Et quand quelqu’un tente de ramener la conversation au collectif, elle sourit comme on sourit à un enfant qui ne comprend pas la vie.
Le pire, ce n’est pas le volume. C’est la mécanique :
- elle minimise les émotions des autres,
- elle prend du crédit “au passage”,
- elle manipule doucement la direction du repas,
- et elle laisse à chacun la sensation d’être figurant dans un film dont elle est l’affiche.
Vous voyez les regards : votre frère se ferme, votre cousine s’éteint, votre père s’agace, votre mère accélère en cuisine (mauvais signe : quand la sauce réduit, la patience aussi).
Et vous, vous sentez le moment arriver : celui où quelqu’un va lâcher une phrase de trop… et où Noël va basculer de “tradition” à “tribunal”.
Vous pourriez laisser faire. Après tout, “c’est Hélène”.
Sauf que ce soir, vous avez décidé une chose simple : protéger la table. Pas par autorité. Par tenue. Parce qu’un repas de fête, ça se tient comme un cap : sans humiliations, sans duel, sans perdre la face.
Et là, vous choisissez : vous intervenez.
Aparté PACTE
Dans la méthode PACTE, l’égoïste (empathie déficiente, actif) n’est pas juste quelqu’un de “centré sur lui”. C’est souvent quelqu’un qui surcompense.
Derrière son “moi je”, il y a souvent des besoins puissants :
- Estime de soi : besoin de se sentir supérieur/compétent (souvent pour masquer l’inverse).
- Reconnaissance personnelle : être vu, salué, valorisé… tout de suite.
- Contrôle & autonomie : ne pas dépendre des autres, garder la main.
- Sécurité personnelle : sécuriser sa place dans le groupe en se distinguant.
Objectif : ne pas la “casser” (ça crée une guerre), mais l’empêcher de coloniser l’espace (sinon elle étouffe tout le monde).
Percevoir
Repérez les signaux :
- monopole de parole,
- phrases qui reviennent à elle (“moi”, “mon”, “je”),
- minimisation des autres,
- prise de crédit,
- besoin d’être au centre.
Phrase utile (dans votre tête) :
“Elle ne cherche pas le débat. Elle cherche la place.”
Analyser
Question-clé :
“Qu’est-ce qu’elle craint si elle n’est pas au centre ?”
Souvent : être oubliée, être banalisée, perdre le contrôle, ne pas compter.
Le piège : l’affronter frontalement (“tu ramènes tout à toi”).
Résultat : escalade, humiliation, clanisme. Table en morceaux.
Communiquer
Trois leviers “classe” à table :
- Clarifier le cadre
Pas une leçon. Un cadre simple, presque ludique.
- “Ce soir, on fait un tour de table : chacun raconte un moment fort de l’année.”
- “On se donne 2 minutes chacun, sinon on n’entendra personne.”
- Valoriser… puis recentrer sur le collectif
L’égoïste a besoin d’être reconnu. Donnez-lui une dose, pas la bouteille.
- “Hélène, tu as clairement de l’expérience là-dessus.”
Puis la bascule : - “Et selon toi, comment on fait pour que ça marche pour tout le monde ici ?”
- Transformer la démonstration en contribution
Au lieu de la laisser “briller”, vous la faites “servir”.
- “Tu peux nous aider à organiser le tour de parole ?”
- “Tu choisis la prochaine question : un souvenir, une gratitude, ou une anecdote drôle.”
Transformer
Si elle monte en pression ou écrase quelqu’un : arrêt verbal élégant.
- “Je comprends que ce sujet te tienne à cœur. Là, j’aimerais qu’on laisse aussi X terminer.”
- “Ok, on note ton point. Et on revient à la question du tour de table.”
Si ça déborde : aparté court
- “Deux minutes en cuisine avec moi ? J’ai besoin de ton avis sur un truc.”
(Traduction : on sort la tension de la scène publique.)
Évaluer
À la fin, reconnaître la contribution (pas la domination).
- “Merci Hélène, tu as aidé à cadrer la discussion.”
Et si besoin, proposer un suivi discret : - “On en reparle à deux après, j’ai l’impression que c’est important pour toi.”
À table, l’art, c’est de tenir la structure sans humilier la personne.
Retour à table : tenir la tradition… sans se laisser diriger
Hélène relance, évidemment :
“Non mais moi, j’ai toujours dit que—”
Vous ne coupez pas brutalement. Vous faites mieux : vous posez un cadre clair, comme on pose une nappe bien droite.
“Ok. Ce soir, je propose un truc simple : chacun raconte un moment où il s’est senti fier… ou juste bien. Deux minutes. Pas de débat.”
Petit silence. Pas hostile. Juste le temps que le groupe comprenne que quelqu’un tient le gouvernail.
Vous vous tournez vers Hélène, calmement, sans ironie :
“Hélène, tu veux commencer ? Tu as souvent une bonne vision des choses.”
Vous lui donnez sa reconnaissance. Juste ce qu’il faut.
Elle se redresse, satisfaite, raconte une réussite. Bien.
Et quand elle s’apprête à conclure par un “de toute façon, personne ne se rend compte…”, vous placez la bascule, douce et ferme :
“Merci. Et qu’est-ce qui, selon toi, aiderait chacun ici à passer une bonne soirée ? Un truc concret.”
Elle cligne des yeux. On sent la résistance : on vient de transformer son monologue en service rendu.
Elle tente une pirouette :
“Bah déjà, qu’on m’écoute…”
Vous souriez, léger, mais cadrant :
“On t’écoute. Et on écoute aussi les autres. Allez : qui veut continuer ?”
Votre cousine prend la parole. Elle raconte un truc simple, touchant. Hélène veut rebondir pour se réapproprier l’émotion. Vous anticipez avec une phrase qui protège sans attaquer :
“On laisse finir, et après on fait un tour de réactions courtes.”
Hélène s’agace un peu. Elle tapote la table. Elle n’aime pas perdre la main.
Vous lui donnez un rôle (stratégie PACTE, version familiale) :
“Hélène, tu peux nous aider ? Tu choisis : on enchaîne sur ‘un souvenir drôle’ ou ‘une gratitude’.”
Elle est piégée… mais élégamment. Parce que là, elle peut exister sans écraser.
Elle choisit “souvenir drôle” (évidemment, c’est plus sûr : ça évite l’émotion des autres).
Et miracle : la table respire.
Plus tard, elle tente une reprise de contrôle, en minimisant votre frère :
“Oui enfin bon, lui, il dramatise toujours…”
Et là, vous faites l’arrêt verbal propre :
“Je comprends. Là, j’aimerais qu’on respecte ce qu’il ressent. On peut ne pas être d’accord, mais on laisse chacun finir.”
C’est dit. Sans procès. Sans pique. Sans humiliation.
Le repas continue. Hélène parle encore beaucoup (on ne transforme pas une habitude en une bouchée), mais elle ne monopolise plus tout. Parce que la structure est posée, et que vous la maintenez comme on maintient une tradition : avec constance.
Au dessert, elle lâche même une phrase inattendue :
“Bon… c’était sympa ce tour de table.”
Vous ne triomphez pas. Vous validez :
“Oui. Ça fait du bien de s’entendre autrement.”
La tante égoïste ne demande pas qu’on la corrige. Elle demande, souvent, qu’on la reconnaisse… sans lui laisser prendre tout l’espace.
Ce que vous avez fait, ce n’est pas “la remettre à sa place”. C’est mieux : vous avez rendu une place à tout le monde.
Et à Noël, franchement, c’est ça le vrai luxe : une table qui reste une table. Pas un ring.
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